27.1.15

Lettres à Alice Viennet

Carte du Lieutenant Pernet adressée à Alice Viennet



Lettre des infirmières





Repose en paix

Chère Madame,
puisque vous vous attendez à une mauvaise nouvelle, je vous annonce la mort de votre mari.
Je n'avais pas voulu le faire à vous si vous ne m'aviez pas écrit de nouveau.
J'ai d'ailleurs écrit à nouveau à Monsieur le curé d'Onay sans savoir si Onay est paroisse ou a un curé. C'est lui dans ce cas qui devait vous annoncer cette pénible nouvelle.
Votre mari a été blessé le 27 janvier et est arrivé le même jour au soir à l'ambulance. C'est le soir vers huit heures que je l'ai confessé et administré. Il n'est mort que le lendemain jeudi vers midi.
Il est mort avec des sentiments bien chrétiens. Le mercredi soir j'ai parlé quelques instants avec lui et il m'a annoncé qu'il était marié et père d'une petite fille. Je lui ai demandé si ça lui faisait plaisir que je vous annonce sa blessure et il m'a donné votre adresse. Votre mari avait été blessé au ventre, ce qui est presque toujours très grave. Je vous avais écris avant sa mort. J'étais près de lui au moment de celle-ci, mais il avait perdu connaissance depuis un quart d'heure. Je n'ai pu causer longuement avec lui à cause de mon service et il ne m'a fait aucune recommandation concernant sa famille.
Il a été enterré le vendredi 29 à 4 heures du soir dans le cimetière de La Chapelle sous Rougemont, avec les honneurs de l'Eglise, au milieu d'une nombreuse assistance.
Ma lettre n'a aucun caractère officiel, c'est la lettre d'un nouvel ami de la famille. Les papiers et porte-monnaie ont été recueillis par M. l'officier d'administration qui vous les fera parvenir probablement par l'intermédiaire du Maire. Une croix portant son nom indique sa fosse. je vous prie de croire, chère Madame que je n'oublie pas votre mari dans mes prières. Il doit être au ciel maintenant ou il ne tardera pas d'y entrer. Il a fait le sacrifice de sa vie pour Dieu, sa patrie et sa famille.

Respecteux sentiments en N.D.
A. Sauvanet


Carré militaire du cimetière de la Chapelle sous Rougemont (Territoire de Belfort)
Photo de son arrière petit fils Raphaël Arquès - mai 2014
Tombe de François Léon Viennet au cimetière de la Chapelle sous Rougemont
Photo Raphaël Arquès - mai 2014


Dernier jour

Lisière du Bois de Buchwald


27 Janvier 1915

Madame,
votre mari vient d'arriver blessé à l'ambulance où je suis.
Sa blessure offrant quelque gravité, j'ai cru bon de vous l'annoncer. De plus, étant prêtre, je l'ai confessé. Il me charge de vous tranquilliser et il vous envoie un affectueux bonjour.
Veuillez croire, Madame à mon dévouement en N D.
A. Sauvanet




26.1.15

26 janvier

Ma tendre épouse chérie et chère petite Marie,

Je venais de mettre ma carte à la boite hier soir quand j'ai reçu ta chère lettre du 22 courant, qui m'a encore beaucoup émotionné. Pour quant à ce que tu me demandes, je te l'accorde volontiers, et de très bon coeur. Tu sais bien ma chère Alice, que l'amitié que nous avons est si grande pour les deux et que je ne voudrais pas te laisser dans la peine où tu te trouves. Oublions vite tout cela comme s'il n'y avait jamais rien existé, je ne me suis jamais départi d'une seule minute de la grande et sincère amitié que tu as pour ton petit époux. 
Tu prétends que tu t'es mal expliquée et tu me demandes pardon, mais à mon tour, je devais faire un peu plus attention à mes cartes et à ta lettre, donc ma chérie, nous nous pardonnons tous les deux, et rejetons loin de nous, bien loin, ces tristes pensées et pensons tous les deux à l'heureux avenir si nous avons le bonheur de nous revoir. 
J'ai cette grande espérance et je ne crois pas que ce que tu auras fait pour ton cher petit époux permettra un si grand malheur pour toi. Unissons bien nos prières et demandons bien à Dieu qu'il nous fasse la grâce de nous revoir, de bien s'aimer et de bien élever les enfants qu'il nous donnera ; donc, ma chère adorée, prenons tous les deux bien patience, et espérons en ce grand jour qui nous rendra si heureux. 
Le temps n'est rien pourvu que nous voyons ce grand jour de bonheur. Je ne crois en rien de ce que l'on t'a dit et que tu me parles sur ta lettre que la guerre tiendra encore jusqu'au mois de juillet. Mais ma bien aimée, où est M. Faillenet ? c'est le même refrain qu'ici : un bédouin qui en dit long comme le petit doigt, une heure après c'est un grand journal de source sûre qui parcoure le régiment. Pour quant à Dumont, notre député, comment se fait-il qu'il soit allé à Arbois faire une conférence à ce sujet ? Je n'y crois pas non plus. Si cela était vrai, il ne rassurerait pas beaucoup ses électeurs, ce serait la ruine de beaucoup de gens et des puissances. La culture ne se ferait pas et l'hiver prochain, la famine se ferait sentir. Comment se fait-il que ce député qui est brancardier de lui-même - puisqu'il s'est engagé pour la durée de la guerre - vienne dans son arrondissement pour raconter cela. S'il peut avoir permission, c'est pour siéger au parlement, et non pour se promener. Mais maintenant, je fais au bout et je n'écoute rien de tous ces racontars. 
Hier au soir, l'on nous a fait préparer pour partir ce matin à trois heures. Nous avons été éveillés à deux heures et demie pour ne rien faire du tout. Je ne sais si c'est à cause du peu de neige qu'il tombait qui nous a empêché de partir.
Chère Alice, comme tu le vois sur ma carte, j'ai demandé à changer de corps, car je ne puis te cacher plus longtemps : je ne suis plus bien avec Joseph Priquet mon chef de section. Sa fierté le rend un peu dur. Il y a des hommes avec qui il doit être sévère, mais ne doit pas faire ce qu'il m'a fait dernièrement : j'étais avec des camarades dans la maison que nous habitons, et pour n'avoir pas été couchés à 8h du soir, il m'a mis 4 jours de tranchées. Ce n'est pas à cause des autres qu'il voulait punir, il fallait que je trinque aussi, pour une fois que je ne me suis pas couché à l'appel.
Je suis bien certain que le lieutenant Pernet n'a rien reçu d'avis de tout cela. Je n'ai pas fait de réclamation non plus. Si je peux parvenir à changer et à être près du docteur Perret, je serai plus tranquille. Enfin, ma bien aimée, ne te fais pas de mauvais sang à ce sujet. Si je t'en parle, c'est que j'aime mieux que ce soit moi qui t'en parle, que de dire que tu l'apprennes par d'autres, car tous les Salinois le savent, et l'apprenant par d'autres tu te penserais le pire. Si tu savais ce que je m'en fiche de sa punition, j'en ris maintenant. Il y a Léon Prost de Salins, le beau-frère de Mathilde Velut qui ne l'aime pas. Il ne peut pas le voir, il est bien content de ne pas être à sa section. Il est aussi de la 18eme compagnie, et je suis bien content de l'avoir aussi avec nous car c'est un gentil garçon ; donc ma tendre épouse, ne te tourmente pas pour ce que je te dit là. Si je viens à changer, je te le ferai savoir assez tôt, mais il faut quelques temps pour toutes les formalités à remplir, et je ne sais si je pourrai y parvenir car les bons soldats on ne les lache pas de but en blanc. 
Chère Alice, tu me demandes si nous quittons l'Alsace puisque nous quittons d'être défense mobile de Belfort. Et bien non ma chérie, nous voyons d'autres pays et où nous sommes maintenant c'est à 5 kilomètres de la frontière Française. Tranquillise toi toujours bien, je ne suis pas malheureux non plus. Du papier à lettre j'en ai assez, tu verras bien mon amitié quand j'aurai besoin, je te demanderai.
Je termine ma bien aimée, et oublions tous les deux ces tristesses. 
Reçois ma bien aimée et petite Marie toutes mes tendresses et soyez bien embrassées, sans oublier la maman et tous les parents.
Au revoir et courage. Je vous serre bien tendrement sur mon coeur.
Ton Léon qui t'adore aussi que notre petite chérie. 
A toi mon coeur et ma vie pour toujours.
Léon


23.1.15

23 janvier, à Germaine

Chère Germaine,

Je m'empresse de faire réponse à votre carte que j'ai reçue aujourd'hui du 19 courant et je viens aussi pour bien vous remercier de votre mandat carte que j'ai reçu avant hier. Aussi je vois l'amitié que vous avez pour votre beau frère. Vous ne pouvez savoir la joie que vous me faites quand vous m'écrivez et que vous me parlez de ma petite famille. J'ai reçu trois lettres de mon épouse quand votre carte. Tout va bien, petite Marie grandi bien comme vous me le dites sur vos cartes ; seulement sur la dernière lettre de mon épouse, je la vois bien tourmentée et je voudrais que vous lui disiez de vive voix de ne pas se faire de mauvais sang. Tout va bien, et avec notre glorieux 75, nous ne craignions rien. Lorsque l'on entend cracher cela derrière, nous sommes joyeux car les casques à point sautent en l'air comme vous le fait voir cette vue. 
Bien le bonjour à M. et Mme Blandin et chez M. le Curé Bailly, 
et vous, chère belle soeur, recevez mes sincères amitiés ainsi que mes plus vifs remerciements.
Votre beau frère qui vous aime
Léon Viennet


19.1.15

19 Janvier, une carte de Germaine

La Chapelle 
le 19 janvier 1915

Bien cher Beau-frère,
je viens cher Léon vous remercier de la jolie carte que j'ai reçue dimanche matin. Elle m'a fait un bien grand plaisir, mais pour moi l'anniversaire était loin de ressembler à l'année dernière. Dimanche, je suis allée à Onay car je suis très contente de voir ma chère petite filleule. Si vous saviez combien elle est gentille lorsque sa maman lui cause : elle sourit, et vous pouvez croire que nous sommes heureux de l'avoir. 
Mme Blandin vous remercie de votre gentille lettre, elle lui a fait bien plaisir. Je vous ai envoyé un petit mandat carte, j'espère que ça vous fera plaisir.
Votre belle-soeur qui pense souvent à vous en vous embrassant bien fort, comme nous le ferons bientôt je l'espère.
Germaine

16.1.15

16 janvier

Ballersdorf, le 16 janvier partant le 17

Ma petite femme chérie et chère petite Marie,
je t'écris quoique n'ayant pas reçu de tes nouvelles. Aujourd'hui voilà le service postal qui recommence à ne plus bien fonctionner, ta lettre du 5 courant je l'ai reçue le 9, celle du 7 le 14, et maintenant je suis dans l'attente. Je voudrais bien en recevoir une de toi qui puisse me dire que tu n'es plus en peine de mes cartes du 28 décembre et 1er janvier. J'ai toujours le coeur bien gros pour cela et je te demande ma bien aimée de bien vouloir me pardonner cela ; si je voyais sur tes lettres encore de pareilles paroles, tu peux croire ma chérie que tu ne reverrais plus ton petit époux, car la douleur que j'ai est trop grande, et revoyant ce que tu penses, je tomberais. 
Comment se fait-il que j'ai pu te dire de pareilles affaires ? Je ne peux y croire. Conserve ces cartes que si j'ai le bonheur de rentrer tu puisses me convaincre, car pour moi je ne crois pas que j'ai pu douter de toi en de si vilaines choses. Non, jamais cela, ma chérie, je t'aime trop ainsi que notre chérie. Tu as du te tromper pour cela, ma pensée était qu'en restant si longtemps sans recevoir de tes nouvelles il avait du arriver quelque malheur dans la famille, et que tu étais trop en peine de me le faire savoir. Et c'est sur cette carte du 28 décembre que je te disais si tu m'oubliais, mais je n'ai pas voulu te dire qu'un autre homme prendrait ma place. C'est tout comme si tu te pensais cela de moi, mais je ne crains rien de ce côté là. Et la carte du 1er janvier, je vois à peu près ce que j'ai mis, car j'ai poussé à vite t'écrire pour te dire où j'étais, et sur cette carte je te disais que j'étais désolé de ne point recevoir de tes nouvelles et que je ne savais que me penser de ce silence.
Oh ma tendre épouse, ne prend pas ces paroles pour quelque doute que ce soit. Jamais je n'ai pensé cela de toi ma chérie, non jamais de ma vie je n'aurai ces pensées là. Si tu avais vu ma peine et me voir pleurer, tu n'aurais jamais pensé cela. Je suis trop heureux de t'avoir pour épouse pour te faire si grande peine, et je demande à Dieu pour notre cher ange ces paroles en ton honneur et en mon pardon. Oh petite mère, pardonne à mon petit père et à toi ton petit époux qui t'aime tant et qui lui tarde tant de rentrer, pour revoir les êtres qui lui sont si chers et qui ne vit que dans l'espoir d'être rendu à la tendresse de son épouse et sa petite fille. 
Oh ma chère Alice, où est cet heureux jour qui nous réunira, car je puis te dire que j'ai la ferme espérance de mon retour, car toutes ces belles choses que tu as faites en mon intention, Dieu ne permettra pas de nous séparer. Et ce jour là, nous souderons dans un gros baiser une amitié toujours sincère, toujours plus grande, et où nous oublierons cette cruelle séparation, ainsi que ces tristes souvenirs ; et nous vivrons encore heureux avec notre chérie et ceux que le Bon Dieu nous enverra encore.
Encore une fois, mille pardons pour ces cartes et toutes ces peines que je t'ai causées, ainsi qu'à moi même. Tu ne peux savoir mon adorée ce que je souffre de tout cela, une peine en amène toujours une autre ; mais reconsole toi bien vite pour cela car moi-même je me reconsole dans vos photographies et où je vous embrasse bien sincèrement en attendant de le faire autrement. 
Tu ne peux savoir ma chérie comme je pleure en vous voyant, mais quoique cela je suis heureux de vous avoir et de plonger mon souvenir en vous, quoique ma pensée est toujours à vous et aux parents.
Chère Alice, tu me demandes dans ta dernière lettre pourquoi j'ai changé de régiment : c'était un ordre qui était venu, une section de réserve devait passer dans la territoriale, mais comme je t'ai prévenu le 12, nous sommes rentrés dans notre régiment et j'en suis bien content car nous sommes bien à la 18eme compagnie avec le lieutenant Pernet. Ce que Sigonney a écrit à Mme Quatrepoint c'est bien la réalité et tu peux te tranquilliser pour moi, et ne te tourmente pas pour cette lettre car tu es mère et tu allaites une jolie petite fille qui me fait si grand honneur et que j'aime beaoucoup, ainsi que toi ma bien aimée. 
J'espère que ma lettre ne te tourmentera pas pour n'importe quoi ni à ce que je t'ai dit. Voilà bientot un an que nous sommes liés à l'autre : c'est demain. Que nous avons été heureux ce jour là d'être unis bien tendrement. Je n'aurais jamais cru que pour cet anniversaire je serais éloigné de toi depuis cinq mois et demi, et pour un si grand malheur. Enfin, patience ma bien aimée, l'année que l'on est nous rendra heureux après une si grande séparation. Alors je revois ces beaux jours qui reviennent et qui nous sourient à tous les deux. Je vois déjà ma petite Marie ne voulant pas que je l'approche car elle ne me connaîtra pas, cela me fera un peu de peine mais je serai le plus heureux des hommes car j'aurai eu ton pardon et tes tendresses. Je serai dans tes bras en me comblant de baisers bien doux. Je serai dans un moment d'allégresse et une joie si grande que j'oublierai les fatigues et cette dure séparation. Enfin, vient l'heureux jour de joie et de bonheur. 
Je termine oh chère adorée, reçois ainsi que petite Marie et tous les parents mes plus tendres et sincères amitiés. Embrasse bien petite Marie pour moi. Tu me diras quand tu m'écriras combien mes lettres mettent de jours à te parvenir. Au revoir, courage et patience.
Ton Léon qui t'adore et qui t'aime pour la vie.




Onay le 16 janvier,

Mon petit homme chéri,
Je fais réponse à ta chère lettre du 9 courant que j'ai reçue hier un instant après que j'ai eu mise la mienne à la boite. Je te remercie beaucoup mon cher Léon de cette bonne et grande lettre qui m'a causé une joie bien grande. Oh oui mon chéri, je veux te faire une grande fête le jour où j'aurai le bonheur de me jeter de nouveau dans tes bras. Je suis bien comme toi, je crois que nous voulons nous embrasser sans jamais nous lasser, nous nous aimions déjà bien avant mais quand tu seras rentré, ce sera bien autre chose ; et moi pour ma part, si il ne me fallait pas m'occuper de notre petit ange, je crois que je resterais des journées à t'embrasser sans jamais te quitter. 
Tu me dis mon chéri de te pardonner. Que veux-tu que je te pardonne ? L'amour que tu as pour moi, mais j'en suis bien contente de me voir tant aimée par toi mon chéri. La peine que j'avais c'était de voir que j'avais beau t'écrire et que tu ne recevais toujours rien, et je savais bien qu'avec l'amitié que tu as pour moi que tu devais être beaucoup tourmenté comme je le suis moi, même lorsque je reste un jour ou deux de plus que d'habitude sans avoir de tes nouvelles.
Cher Léon, tu me dis que tu ne te gênes pas avec moi. Tu fais très bien et j'en suis bien contente car si tu te gênais, tu me ferais de la peine et toutes les fois que tu me demandes quelque chose je le considère comme des preuves d'amitiés. Ainsi, tu vois, plus tu me demanderas, plus je trouverai que tu m'aimes. Cher bien aimé, tu ne sais pas le regret que j'ai eu en lisant ta lettre chérie : et bien c'est de n'être pas à la place de ces casseurs de pierre pour être près de toi. Cher adoré, je suis bien contente de voir que tout le monde t'aime et t'estime comme tu le mérites, car tu es le meilleur des hommes et que pour moi tu es un vrai trésor. Oh cher Léon, moi aussi je préfèrerais la mort que d'être privée de ta présence bien aimée, mais il me faut vivre pour notre ange car je l'aime tant que je ne pourrais pas l'abandonner ni la laisser mourir. Mais ne nous décourageons pas, va mon chéri, le temps passe encore vite quoique nous le trouvons bien long. Il y a des moments où je ne peux pas croire qu'il y a cinq mois et demi que tu m'as quittée. Espérons que Dieu te protégera encore comme il l'a fait jusqu'à maintenant et que dans 2 ou 3 mois nous aurons le bonheur de nous trouver réunis.
Mon cher Léon chéri, il y aura demain un que je suis à toi .C'était un bien beau jour mais le jour où tu rentreras sera encore mille fois plus beau, car on sent mieux maintenant que l'on est séparés ce que c'est que la force de l'amour ; et moi, j'aurais eu tellement peur de perdre mon cher petit homme que je veux à son retour lui faire une vie douce et heureuse autant qu'il sera en mon pouvoir de le faire.
Cher Léon, il faut que je te dise que petite Marie ne veut pas être une bête comme sa maman qui n'a jamais su danser, car elle, il faut voir comme elle aime se faire sauter et comme ses petites pieds marchent. Edmond dit qu'elle pédale et quand elle s'est bien amusée elle dort mieux. Hier, elle a dormi depuis les 8 heures du soir jusqu'à trois heures. je m'étais relevée à 1 heure pour la faire manger mais elle dormait si bien que je l'ai laissée. La maman me charge de te dire bien des choses de sa part et t'envoie un grand bonjour aves ses meilleures amitiés.
Reçois cher léon, les gros baisers que je donne à notre chérie pour toi. Ta petite femme qui pense toujours à toi et qui t'embrasse bien fort en attendant de te prouver la grande amitié qu'elle a pour toi. 
Celle qui t'adore pour la vie.

Alice Viennet

(Cher Léon, Charles Callier de St Benoit est à la 3eme compagnie du même régiment que toi)

12.1.15

12 janvier ... Alice, Marguerite, Léon

Chère Alice et petite Marie,

je viens par cette présente carte t'offrir mes amitiés les plus sincères en souvenir de notre union. J'ai pris l'avance pour que tu aies ma carte pour le 17 courant. Nous ne serons pas si joyeux qu'il y a un an, quoique cela est bien triste pour nous deux, mais réjouissons nous ce jour là car tu es maman et moi je suis papa, nous devons être fiers d'une si jolie petite fille. Si nous ne pouvons pas fêter ensemble cet anniversaire, fêtez-le ensemble et place cette carte ainsi que celle que j'ai envoyée à la maman de chaque coté de ma photographie pour que ça me porte-bonheur.
Oh, soyez tous bien embrassés ce jour là. Ma pensée vous suivra et mon coeur ne cessera de battre en vous.

Léon





Bien chère Maman
A l'approche de ce jour inoubliable du 17 janvier, je tiens à vous faire parvenir ces quelques lignes à vous même pour cet anniversaire. J'ai le coeur bien gros en pensant qu'il y a un an, j'étais si heureux d'entrer dans votre famille par un lien d'amitié avec Alice mon épouse et votre enfant chérie. Combien j'étais heureux de vous appeler maman, moi qui n'ai presque pas connu ce mot là ; et dire qu'aujourd'hui je suis éloigné de vous par ce terrible fléau, oh oui chère maman, je ne vous oublierai jamais, de ce que vous faites pour mon épouse et mon enfant chéri. Vous êtes bien la vraie bonne mère gardant sur son coeur ses chers enfants. Merci bien des fois en attendant que je puisse vous le dire de vive voix, et vous témoigner ma reconnaissance. Prenez aussi bien patience de mon absence. Nous travaillons pour que de pareils faits ne se retrouvent plus et que cette jeune génération ne voit pas non plus de guerre, c'est un fléau qui ne devrait pas exister.
Au revoir chère maman. Fêtez cet anniversaire qui me portera bonheur.
Votre gendre qui vous aime et vous embrasse.
Léon




Onay, le 12 janvier
Bien cher Léon,
Par cette carte, je viens te renouveller ce doux anniversaire du 17 janvier que tu n'as sans doute pas oublié non plus car nous étions si heureux les deux ce jour là, de nous en aller le soir les deux... Enfin, espérons que ces beaux jours reviendront bientôt. Je n'ai pas le temps de t'écrire une lettre maintenant mais j'en écrirai une ce soir.
Cher bien aimé, nous sommes tous en bonne santé et j'espère que toi aussi.
Ta petite femme qui t'aime beaucoup.
Alice



10 janvier

Dannemarie, le 10 janvier

Ma chère Alice et petite Marie,

Je fais suite à ma lettre d'hier en réponse à ta lettre et ta carte que j'ai reçues au moment où j'allais porter ma lettre à la poste. Je vois que l'amitié qui nous tient est grande. Tu as souffert et tu as eu beaucoup de peine de sentir ton petit époux bien tourmenté en ne recevant point de tes nouvelles. Oh oui ma bien aimée, tu ne peux savoir ce que j'ai souffert d'être quinze jours sans avoir une lettre det oi, pas même de Germaine. Toutes sortes d'idées me passaient par la tête, je ne savais que me penser de ce silence. 
Je doutais fortement qu'il était arrivé un malheur dans la famille, et que tu étais trop en peine pour me le faire savoir ; mais je remercie bien Dieu qu'il en soit ainsi, et maintenant ne pleure plus ma tendre épouse. Je comprenais bien ta couleur d'écrire que rien ne me parvenait, et de me sentir si en peine aussi, la carte que Germaine m'a envoyée me parlait de ta tristesse. Oh je vois depuis ici ma bien aimée pleurant comme moi-même j'ai pleuré, te lamentant sur mon état car tu me connais que je suis timide à toi mon amour, mon bonheur suprême ainsi que notre petite chérie. Tranquillise toi bien maintenant et oublions vite ces mauvais jours. Demandons tous les deux à Dieu chaque jour qu'il ne nous arrive encore de pareils faits, et qu'il nous fasse la grâce de nous donner la joie de nous revoir au plus vite pour que je puisse connaître mon enfant chérie et bien l'élever.
Chère bien aimée, je te remercie beaucoup que tu ne m'aies pas envoyé un télégramme car sortant de cette terrible épreuve, ayant déjà reçu de tes nouvelles, je serais surement tombé et je ne serais peut etre plus de ce monde. Je me rappelle de celui que tu m'a envoyé au mois d'août : lorsque je l'ai eu dans les mains, je tremblais, il me semblait que je devenais fou. Enfin, ne parlons plus de ces tristes histoires, cela me fait monter les larmes aux yeux.
 Chère bien aimée, tu me parles de mes camarades qui sont tombés, mais tranquillise toi ma chérie, ils n'étaient pas de ma compagnie. J'ai appris leur mort deux jours après. Quant à la 18eme compagnie où j'étais dernièrement, il n'y a aucun tué ni blessé et le 244ème n'a pas tant de pertes que vous le pensez. 
Chère Alice, tu remercieras bien Germaine pour moi, de sa gentille carte du 5 courant. 
Je lui enverrai une carte cette semaine. Dis bien des choses pour moi à la maman et à tous les parents. En attendant de recevoir la photographie qui me fera bien plaisir, reçois ma tendre épouse et petite Marie, les amitiés les plus sincères d'un époux et d'un petit père qui vous aime bien tendrement. Au revoir, patience et courage, et espérance dans mon prochain retour. Soyez bien embrassées. 

Ton Léon


Peloton de cyclistes basé à Dannemarie

11.1.15

9 janvier

Ma petite femme chérie et ma chère enfant,

Je m'empresse de répondre à ces 3 lettres que je viens de recevoir. Hier j'ai eu une lettre du 1er courant à 8h du soir, une du 3, et ce matin je reçois au réveil celle du 29 décembre, ainsi qu'un mandat-carte de 5 francs des sapeurs-pompiers de Salins avec tous les meilleurs souhaits et d'un prompt retour. 
Tu vois ma chérie que je suis aimé et estimé par toutes les personnes qui me connaissent, ainsi que par mes frères d'armes ; quoique je ne fais plus les fonctions de caporal depuis quelques temps, ici au 57ème territorial, lorsqu'il y des corvées, c'est moi qui suis nommé pour commander ces corvées. Quand on est bien noté, c'est pour longtemps, je commande aussi doux les hommes qui sont sous mes ordres qu'à toi lorsque je te parle, et je suis bien estimé. Il n'y a qu'aux gradés que je réponds fermement car c'est le règlement qui le commande. Hier je surveillais la corvée de cassage de pierres, les hommes s'étaient mis à l'abri d'un arbre pour allumer une cigarette, quand survint deux officiers, un commandant et un lieutenant. Le commandant s'adressant à moi me dit : "Pourriez-vous me dire pourquoi vous ne travaillez pas ?", et moi de lui répondre : "Pardon mon commandant, il y a cinq minutes de pause" avec un ton qui lui faisait voir que je n'étais pas craintif. Il me répond : "C'est bien", me salue bien et ils continuent leur chemin. Si j'avais balbutié à mes paroles, c'est moi qui allait trinquer ; mais rassure-toi bien vite ma bien aimée, pas plus les officiers que l'ennemi ne me font peur. Je fais tout mon devoir de patriote tout en pensant à toi, à petite Marie et tous les parents.
Chère Alice, tu vois par cette présente lettre comme la poste a fonctionné, et si je t'ai parlé que je pensais que tu ne voulais plus m'écrire, c'est que ma douleur était trop forte. Pardonne moi bien cela ma chérie, mais la douleur était si forte, surtout que tu connais mon amitié, que je ne savais plus comme je vivais. 
Enfin, pour quant aux dragées que tu m'a envoyés du baptême de notre cher ange, je n'ai pas voulu te dire qu'ils seraient trop vieux à mon retour. J'ai tout simplement voulu te parler que plus j'attendrai, meilleurs je les trouverai. C'est ainsi que je t'ai parlé de cela, en comparant au bon vin vieux. Prends exemple à ceci comme si je m'étais éloigné de toi pour deux jours. En rentrant, tu m'aurais fait la fête j'en suis certain ; et après une si longue séparation, ça veut bien être autre chose quand l'on se resserrera de nouveau dans nos bras et nous nous embrasserons, ce qui, je crois ne pourra nous lasser. Les dragées en seraient de même, j'aurais attendu d'en avoir, je les aurais trouvés superbes.
Je les ai trouvé bien bons ainsi que les camarades à qui j'en ai offert. Ne crois pas ma bien aimée que j'ai voulu te dire que tu m'oubliais, non pas le moins du monde. Tu vois comme je me gène avec toi, je t'ai bien demandé des chaussettes et un couteau. Je t'aurais aussi bien demandé des dragées, enfin pardonne bien cela qui a du te tourmenter. 
Tu vois que l'amitié que nous avons est grande. Restant exactement quinze jours sans avoir de tes nouvelles, je n'ai cessé de t'écrire, car si tu avais été comme moi aussi longtemps, j'aurais vu ta peine, surtout que tu me crois bien mal. Mais rassure toi bien mon amour, je ne crains rien pour le moment, et si Dieu le Maitre de toutes choses permet que nous ne nous retrouvions pas, je préfèrerais la mort de suite que d'être séparés pour encore comme maintenant.
Enfin, j'ai la ferme espérance de te revoir bientôt et de te serrer dans mes bras ainsi que mon enfant chérie et à qui tu donnes tant de baisers pour moi. 
D'abord ici je ne crains rien et quand l'on avancera tout en faisant bien mon devoir, je penserai à toi et à mon enfant ainsi que tous les parents. Tranquillise toi toujours bien, tout ira bien, je me vois déjà de retour me jetant dans tes bras, où nous ne serons plus jamais séparés, et où nous vivrons heureux avec notre chérie. 
Je vais écrire demain à M. et Mme Blandin pour bien les remercier. Ce soir il es trop tard, je me dépèche de finir ma lettre pour que tu la reçoives plus tôt.

Reçois ma bien aimée ainsi que petite Marie, mes plus tendres amitiés et soyez tous fortement embrassés comme je vous aime, je suis heureux de savoir que mon enfant chérie, notre amour profond, vient bien. Je me fais déjà un plaisir d'avoir vos photographies et non vos masques comme tu me le dis, cela me fait de la peine car je suis fière de mon épouse et de mon enfant. Bien des choses pour moi à la maman. 
Au revoir et patience, tout va bien maintenant.
Ton époux et petit papa. 
Léon

Au moment où je vais porter ma lettre à la poste, je reçois ta lettre et ta carte du 3 courant, ainsi qu'une carte de Germaine. Ne pleure plus mon amour, tout va bien aller maintenant, et à cette heure je te sens heureuse car tu sais que je reçois tes correspondances, et moi je vais être heureux de recevoir bientôt votre image, en attendant d'avoir ma présence parmi vous, le printemps nous sourit.
Je te joins la carte de Mme Perret dans ma lettre. tu peux croire que je suis heureux.
Mille bons baisers mes chéries.
Ton Léon qui t'adore pour la vie.
je te serre sur mon coeur affectueusement.

Ton léon

Dannemarie sous la neige

7 Janvier

Dannemarie Alsace, le 7 janvier

Bien chère épouse et petite Marie

Je fais suite à ma carte d'hier, je ne pouvais t'écrire une lettre, le temps me manquait car je ne voulais pas attendre un jour de plus sans te donner de mes nouvelles parce que la Poste ne fonctionne pas encore bien régulièrement.
Ma petite femme chérie, je te rappelle encore combien ta lettre m'a fait grand plaisir, j'en pleure de joie de voir que tout va bien dans notre petite famille. Oh que je voudrais voir notre petite chérie grimper sur la tête de la maman, comme je serais heureux d'être parmi vous et de vous serrer dans mes bras, car je puis te le dire, mon Alice bien aimée, que toi et petite Marie vous êtes mon unique bien sur cette terre. 
Qu'il est doux d'être aimé et de s'aimer, mais que c'est bien dur aussi d'être séparés. Enfin, ne nous décourageons pas, tout ce que tu fais et que tu demandes à Notre Dame Libératrice sont de bien bonnes et belles choses. Espérons qu'elle écoutera tes prières comme les miennes et qu'elle les exaucera. Moi aussi je lui demande qu'elle vous protège, qu'elle vous conserve la santé et qu'elle me donne le bonheur de vous revoir, de connaitre mon enfant et de bien l'élever. Enfin, je la remercie bien de m'avoir favorisé : pas encore une fois mouillé, pas encore malade à part la vaccination qui m'avait un peu dérangé. Tu vois ma tendre épouse, que je ne suis pas si à plaindre que tu te le penses. Il n'y a que les premiers jours de la campagne qui ont été un peu durs car l'on étaient pas entrainés, et puis la chaleur nous gênait aussi ; mais maintenant tout marche bien avec le sac au dos nous sommes aussi lestes que les premiers jours étant à vide.
Chère épouse, il faut que je te dise que dans la Territoriale il n'y fait pas si mauvais que ça. Tu ne voudrais pas croire ce que l'on fait quand l'on est pas aux avants-postes : j'ai déjà été employé aux travaux d'artillerie, au cassage de pierres pour les routes, à scier du bois pour l'hôpital de Dannemarie où nous sommes maintenant, et à faire un peu d'exercice ; donc nous ne risquons rien et les avants postes nous n'y allons pas bien souvent, ce n'est que pour permettre aux troupes des premières lignes de prendre du repos, alors tranquillise-toi bien pour moi, je te dis toute la vérité.
Chère épouse adorée, je te remercie déjà de la belle initiative que vous avez eu chez Mme Blandin pour te faire photographier avec petite Marie. Oh que je veux être heureux lorsque j'aurai ce précieux souvenir sur mon coeur. Je pourrai revoir l'image de ceux qui me sont si chers et de mon enfant que je ne connais pas. Je veux autant vous embrasser que si vous étiez en présence réelle, si nos coeurs ne sont pas proches, nos pensées sont les mêmes et se joignent dans un commun amour et d'amitiés les plus sincères.
J'ai reçu bien des correspondances en réponse des voeux et souhaits que j'avais adressés. Mesdames Perret m'ont répondu par une carte que je t'enverrai prochainement. Aujourd'hui je te joins la lettre de Jeanne Longchamp. Tu pourras voir que le malentendu n'existe plus. Tout est bien qui finit bien. Mesdames Perret sont très contentes de mes bons souhaits, elles les transmettent à M. le docteur Perret qui, je n'en doute pas, sera bien content. Donc courage ma chérie, nous passerons encore d'heureux jours ensemble avec notre chérie dans ce joli petit appartement que nous avons quitté à ce maudit jour de mobilisation, mais que l'on oubliera bien vite lorsque nous serons réunis. J'ai envoyé une carte à M. et Mme Bourgeois car il s'occupe bien de moi. Tu leur donneras bien le bonjour de ma part ainsi qu'aux amis et connaissances. Remercie bien aussi chez le parraine et la marraine d'Onay de leurs bons souhaits.
Chère Alice, j'ai eu de belles étrennes, j'ai reçu hier 10 francs comme bon soldat. J'ai exactement 23,60 francs sur moi. Viens toujours bien en aide à la maman qui a si soin de toi et de petite Marie. Embrasse la bien aussi en attendant que je lui rende les bienfaits dont elle vous comble.
Au revoir ma bien aimée et mon enfant chérie, et recevez mes plus tendres amitiés. 
Soyez aussi bien embrassées comme je vous aime pour la vie.
Espérance et patience dans l'avenir qui nous sourit. Mille bons baisers mes chéries.
ton époux et petit papa.
Léon

10.1.15

6 janvier

Chère épouse et petite Marie,

je m'empresse de te faire parvenir cette carte pour te dire et te remercier de ton petit colis que j'ai reçu hier, et ta lettre ce soir. Oui ma bien aimée, je suis très heureux de ces belles choses que tu a fait à mon intention, et le plus beau sera encore de posséder ta photographie ainsi que de petite Marie. Comme je veux vous couvrir de baisers en attendant mon retour, le temps me paraitra un peu moins long. J'ai eu l'idée bien des fois de t'en parler, mais je ne voulais le faire de crainte de t'ennuyer. J'ai trouvé les dragées du baptême de notre chérie bien bons. J'en ai offert quelques uns aux camarades qui m'ont souhaité du bien pour petite Marie et ma famille. Je suis heureux aussi du tabac car celui des boches n'est pas bon, et je te remercie bien des fois ainsi que pour les cinq francs et ta charmante médaille qui me protégera. Prends toujours bien patience de mon absence et tout ira bien.
Reçois ma chérie, ainsi que petite Marie, mes plus tendres amitiés, et soyez bien embrassées comme je vous aime et tous les parents.

Léon
(lettre suit)

Alice Viennet et sa fille Marie -Photo Klotz - 2 Janvier 1915

4.1.15

4 Janvier

Mon Alice chérie, et ma chère petite Marie

Je fais suite à ma carte d'hier comme je te l'ai promis. Je veux tout d'abord te dire la grande joie que j'ai eu en recevant tes lettres chéries, tu peux croire ma bien aimée que j'étais bien triste, je ne savais que penser de ce silence, j'avais grand peur qu'il soit arrivé quelque chose dans la famille, et que vous n'osiez pas me le dire ; enfin maintenant je reprends courage car je vois que ce retard est du aux postes. Tu dois mieux recevoir mes correspondances que moi je reçois les tiennes, enfin prenons patience ma chérie, après des mauvais jours il en viendra des bons, ne nous tourmentons pas tant et tout ira bien, avec le printemps qui va nous apparaitre, renaîtra la paix et le bonheur car il faut bien penser mon amour que la guerre ne peut durer bien longtemps, ce serait la famine et la ruine de toutes les puissances combattantes. Il faut bien penser que tous les cultivateurs qui sont sur le front ou soldats ainsi que tous les autres ouvriers devront rentrer pour faire les travaux pour nourrir l'humanité. Qu'arriverait-il si nous étions encore pour six mois comme maintenant, rien ne s'ensemencerait et rien ne serait à récolter pour l'hiver prochain. Tu dois le voir ma chérie, les campagnes sont désertes et aussi les villes, moi je m'en aperçois ici par le nombre d'hommes que nous sommes ici, et encore, nous ne sommes pas des plus nombreux car ce n'est pas ici que le plus grand travail se trouve. Il nous faut sortir les boches qui se trouvent sur notre territoire et après tu verras que le reste ira tout seul. Notre bon père le Général Joffre, chef des armées françaises, est certain de la victoire, nous pouvons déjà compter que l'Alsace et la Lorraine seront bientôt de retour à la France, le Rhin qui était l'ancienne frontière n'est pas loin de nous, et aussi une bonne nouvelle aujourd'hui : au rapport l'on nous a dit que les boches commençaient à sentir la faim. Ce sera encore bien plus facile à les vaincre car quand l'on a rien dans le bidon, le courage n'est pas bien grand. Nous n'avons pas à nous plaindre nous, pour la nourriture c'est tout ce qu'il y a de mieux, tandis que chez les boches si tu voyais le pain qu'ils mangent, il te répugnerait, Des camarades qui étaient allés parler avec des sentinelles boches en avait rapporté, je n'ai pas voulu en goûter, et aussi ils se plaignent du régime que l'Allemagne leur fourni.
Chère épouse, tu peux te tranquilliser un peu pour moi. Comme ma section a été versée au 57ème territorial nous sommes revenus en arrière, nous sommes à Dannemarie maintenant, quoique cela nous prenons quelquefois les avants-postes car il faut bien que les camarades se reposent aussi. Ce n'est pas un travail bien fatiguant et tu peux être sans crainte, l'on est bien abrités, et lorsque nous serons ici nous ferons un peu d'exercice pour se déraidir les bras et être aussi bon soldats qu'à 20 ans, donc pas de mauvais sang comme tu t'en fais et tout ira bien.
Mon Alice adorée, comme j'écris cette lettre, j'en reçois une de toi du 27 décembre où tu me dis que voilà 3 jours que tu n'as pas de nouvelles, cependant ma chérie comme tu le verras, je n'ai cessé de t'écrire quoique ne recevant pas de tes nouvelles. Je ne t'oubliais pas ma tendre épouse car ma pensée est constamment à toi, à petite Marie ainsi qu'à la chère maman et tous les parents : comme je te le dis en tête de ma lettre, le retard est du au service des postes. Je te remercie bien ma chérie ainsi que les parents des bons souhaits et voeux de bonne et heureuse année. Je te remercie aussi des prières à la demande de Notre Dame Libératrice. Moi aussi ma bien aimée je demande bien des choses à Dieu pour moi et ma petite famille qu'il me tarde tant de revoir, enfin espérons bientôt ma chérie, nous aurons le bonheur que nous méritons.
Chère Alice, tu me dis sur une lettre que tu es allée avec Edmond à Salins, je pense que tu as visité notre petit logement où nous serons encore bien heureux avec petite Marie et où avec le temps nous lui acheterons un petit frère lorsqu'elle pourra le bercer et l'amuser. C'est un métier que je n'ai pas pratiqué depuis que je t'ai quitté, mais nous serons très vite remis à ce travail. As-tu vu madame Longchamp ?  t'a t'elle bien parlé ?, tu me le diras sur ta prochaine lettre, je te remercie bien et tu le feras pour moi à Mme Clément et chez M. Bourgeois. L'usine Clément marche-t'elle toujours ?, car il me tarde bien de piloter ma Jeanne d'Arc au lieu de faire des kilomètres à pied, enfin ça finira bien tôt et nous serons bien heureux. 
Tu me parles de la cousine Viennet de Salins, mais si il me fallait écrire à toutes les connaissances j'aurais bien du travail. Chère épouse, il faut que je te demande un couteau, j'ai égaré le mien pour le jour de l'an. Tu m'en enverras un avec une paire de chaussettes comme les dernières que j'ai reçu, j'en ai bien deux paires de laine mais une paire est déjà trouée et je n'ai rien pour raccommoder. 
Embrasse bien et remercie bien pour moi cette chère maman qui a tant soin de toi et de mon enfant. Embrasse également tous les parents aussi, et toi, ma bien aimée et tendre épouse adorée, ainsi que petite Marie, recevez d'un époux et d'un petit père qui vous aime bien tendrement et qui ne vit que pour vous, les plus tendres amitiés et courage.
Ton petit époux
Léon

57ème territorial - 2ème Cie par Belfort
"Faire suivre en campagne"

Encore mille bons baisers ma chérie
Léon
J'ai oublié de te dire que la marraine m'avait envoyé cinq francs le premier de l'an, je n'ai pas du t'en parler sur ma carte

3.1.15

Le 3 janvier

Ma chère Alice et ma chère enfant,
Je m'empresse de te faire réponse à tes trois lettres du 20, 22 et 24 décembre que j'ai reçues aujourd'hui. Tu vois, ma chérie que j'ai été exactement quinze jours sans avoir eu de tes nouvelles -  bien de quoi être tourmenté - mais j'aime mieux que ce soit moi qui aie attendu que toi car tu te serais pensé bien autre chose. Enfin, tranquillise-toi toujours, le printemps nous apportera la paix et le bonheur, et quoiqu'il y a cinq mois que nous sommes séparés, j'ai déjà bien trouvé le temps grand et je n'ai jamais cessé de penser à toi, et toujours aussi à toi mon coeur et ma vie. Chère épouse, j'ai reçu aussi une carte de Germaine aujourd'hui du 23 décembre, donc tu vois que de tes nouvelles je n'en avais non plus par Germaine, enfin je suis heureux maintenant, je vais vite oublier cette quinzaine passée.
Je ne t'écris pas une lettre aujourd'hui mais demain, j'en ferai une grande où je parlerai un bon moment avec toi ma bien aimée. Embrasse bien pour moi petite Marie, la maman et tous les parents, et toi ma tendre épouse, reçois mes meilleures amitiés et soit bien embrassée comme je t'aime pour la vie.
Ton petit époux et petit papa
Léon

1.1.15

Le 1er Janvier

Bien chère épouse et petite Marie,
Je suis désolé de ne point recevoir de tes nouvelles depuis ta lettre du 18 décembre : je n'ai point eu de tes lettres et je ne sais que me penser de cela. Oh ma chérie, l'année passée en ce jour nous étions si heureux, et aujourd'hui j'ai beaucoup pleuré ; enfin, tranquillise-toi, j'ai toujours confiance en toi et je crois que c'est la Poste qui occasionne tous ces retards, mais néanmoins je suis bien tourmenté de cela. Comme tu le vois à mon adresse, ma section a été versée au 57ème et je te mets par Belfort, mais il faudra ajouter "faire suivre en campagne". J'ai reçu un petit colis de la marraine le 29, contenant une saucisse cuite, une demi-livre de chocolat, un paquet de cigarettes et un cigare, et je crois que vous avez tous reçus mes bons souhaits. J'ai toujours la grande espérance que le printemps joyeux nous réunira. Embrasse bien mon enfant, notre cher ange, et tous les parents, et toi, ma bien aimée, reçois mes plus tendres amitiés et soit aussi bien embrassée.
Ton Léon




Onay, le 1er Janvier 1915

Cher époux adoré et cher petit papa,
Je fais réponse à ta chère lettre et carte que j'ai reçues hier et qui m'ont fait bien plaisir d'avoir de tes nouvelles, et surtout de savoir que tu étais à peu près remis de tes vaccins car j'ai si peur qu'il t'arrive quelque chose mon chéri, car tu es mon seul bonheur sur cette terre avec ma chère petit fille.
Cher Léon, nous sommes tous en bonne santé et rassure-toi, il n'est rien arrivé : si tu n'as point reçu de mes nouvelles de toute une semaine, c'est que la Poste ne fonctionne pas régulièrement car je t'écris presque tous les deux jours. Ainsi j'ai en route une lettre du dimanche 20 courant, une du mardi, une du jeudi, une du dimanche 27 où je t'offre mes meilleurs souhaits de bonne année, ainsi que tous ceux de ma famille ; et une de mardi avec un petit colis pour tes étrennes. Si toutefois cher Léon, tu reçois cette lettre avant le colis, tu feras bien attention en ouvrant le cornet de dragée car je t'y ai mis une petite image. 
Cher Léon, si tu ne reçois pas mes lettres aussi vite qu'auparavant, c'est peut-être à cause que je mets "Secteur Postal" car le facteur de la Chapelle m'a dit qu'il y a des endroits qui y gagnaient en mettant "Secteur", et d'autres qui y perdaient ; c'est pourquoi je vais essayer de t'envoyer celle là par Lons comme d'habitude, et tu verras bien si ça va mieux, et tu me diras comme il me faut continuer de mettre.
Cher Léon, je suis allée à Salins hier toucher l'allocation et en sortant de chez le Percepteur, j'ai acheté un cierge pour le porter à Notre Dame Libératrice pour qu'elle te protège et te ramène au plus tôt vers celle qui ne pourrait pas vivre sans toi, et je lui ai dit aussi que tu aimes tous les enfants, qu'elle te donne le bonheur de voir le tien. J'espère qu'elle exaucera ma prière et te rendra un jour à ma tendresse pour m'aider à bien élever notre chérie, car sans toi je ne sais ce que je deviendrais. 
Oh cher Léon, fais le plus attention à toi que tu pourras, afin qu'il ne t'arrive rien, car j'en serais désolée, enfin, j'ai la ferme espérance de te revoir un jour. Mon cher Léon aimé, j'ai vu Jeanne Longchamp en ville et elle m'a dit qu'ils avaient reçus une carte de toi le matin, et de crainte que je n'ai rien reçu ce jour là, je suis allée voir ce que tu leur disais tant j'avais hâte d'avoir de tes nouvelles, et tu peux deviner la joie que j'ai eue en arrivant, de trouver ta chère correspondance que j'ai lue et relue je ne sais combien de fois.
J'ai vu également en m'en revenant de Salins M. Bourgeois qui allait travailler à la carrière, car comme il n'y a guère d'ouvriers, il travaille quelques jours à l'usine du haut, quelques jours à celle du bas, et quelques jours à la carrière ; donc cher Léon, il m'a chargé de t'envoyer un grand bonjour et te t'offrir ses meilleurs voeux de bonne année. Chez la marraine me charge aussi de bien te remercier de la carte que tu lui as envoyée et te prie de bien vouloir recevoir leurs meilleurs souhaits en attendant qu'ils aient le plaisir de te voir. Cher bien aimé, la maman me dit de te dire comment petite Marie monte bien l'échelle, elle la tient droite sur elle en la soulevant sous les bras, elle jette ses petits pieds l'un devant l'autre, tout comme si elle savait déjà marcher, car elle monte depuis les genoux de la maman assise jusqu'au dessus de sa tête, et il faut voir comme elle est contente et comme elle monte vite, aussi la maman raffole d'elle.
Cher Léon, il faut aussi que je te dise que je suis allée avant hier à la Chapelle mener voir notre petite chérie à Madame Blandin car il y a longtemps qu'elle réclamait qu'on lui mène voir, et comme il faisait bon, j'en ai profité et écoute mon chéri ce qu'on a décidé : je ne devrais pas te le dire pour te faire une surprise mais je ne sais rien te cacher à toi mon chéri. L'on a décidé que demain s'il fait beau temps, que M. Blandin me mènerait à Salins en voiture avec petite Marie pour me faire photographier avec elle, et te l'envoyer. J'espère que cela te fera plaisir d'avoir tes deux petites chéries avec toi.
Cher Léon, c'est aujourd'hui le premier de l'an. Quelle différence avec l'année dernière ! que nous étions heureux les deux, et t'en souviens-tu : comme nous nous sommes amusés l'après midi les deux car nous n'avions plus que 16 jours avant de nous unir pour la vie.
Je ne vois plus plus grand chose à te dire, que toute la famille se joint à moi pour te renouveler nos meilleurs souhaits de bonne année.
Reçois cher bien aimé, mille baisers de ta petite femme, et aussi tous ceux que je donne à notre chérie pour toi.
Ta petite femme qui t'aime bien tendrement pour la vie.
Alice

Cher Léon, il faut au moins que je te dise que j'ai trouvé ta carte bien jolie. Je t'en remercie bien sincèrement ainsi que tes bons souhaits. Encore mille Baisers.
Ton Alice

Chapelle Notre Dame Libératrice de Salins-Les-Bains - Photo O. Arquès - 27/12/2014

28.12.14

28 décembre

Chère épouse et petite Marie,
Comme je ne reçois plus rien de toi depuis ta lettre du 18 courant, je suis bien en peine de savoir ce qu'il en est. Serais-tu malade ou petite Marie, et que l'on me le cache ? Je ne voudrais pas que vous me fassiez cela car je suis trop tourmenté à ce motif. Dites moi bien toute la vérité ; ou ne recevrais-tu plus mes lettres ou que tu ne veuilles plus m'écrire ? mais je ne crois pas cela de toi ma chérie, tu ne souffrirais pas de me faire pareille chose car tu es comme moi : tu aimes trop ton petit époux... Serait-ce la Poste qui serait devenue aussi irrégulière que les premiers temps, enfin fait comme moi, fait moi parvenir de tes nouvelles pour me tranquilliser car j'ai le coeur bien gros en ce moment ma chérie.
J'ai passé un bon moment hier avec Sigonney qui m'a raconté bien des choses de la guerre, il a reçu des nouvelles de chez M. Bouveret où ils lui disent que tu es bien ennuyée de moi. Pourquoi tout ce mauvais sang ? Espère toujours, c'est le meilleur moyen de calmer cette tristesse que tu as. Embrasse bien petite Marie et tous les parents. Soit aussi bien tendrement embrassée comme je t'aime
Ton Léon




26.12.14

26 décembre

Ballersdorf (Alsace), le 26 décembre

Chère épouse adorée et chère petite Marie,
Par cette présente carte, je viens te présenter ma chérie et petite Marie, ainsi que chère Maman et Edmond, mes vœux et souhaits les plus sincères pour la nouvelle année : vœux et souhaits de bonheur, santé et prospérité ; ainsi que la grande espérance de mon retour vers mes deux chéries et parents qui m'attendent avec impatience. Je demande tous les jours à Dieu qu'il me fasse la grâce de  revoir ma petite famille et d'être heureux comme nous l'avons été, dans si peu de temps. Enfin, 1914 qui nous a unis et nous a séparé, va bientôt disparaitre, et 1915 qui nous apporte la gloire nous donnera le bonheur à tous.
Chère Alice, la fête de Noël s'est bien passée, je suis allé à la messe hier matin, messe qui était pour les soldats et dite par un soldat prêtre. J'ai trouvé l'église de Ballersdorf fort jolie, elle vaut bien celle de St Maurice de Salins quoique c'est un village. J'espère que ma chère enfant vient bien maintenant qu'elle est fille de Dieu. Et toi, ma petite femme chérie, je pense que tu es toujours en bonne santé aussi.
Je vous embrasse tous bien fort.
Ton Léon




Soldats à l'église de Ballersdorf


22.12.14

22 décembre

Chère Alice et chère petite Marie,

Je m'empresse de faire réponse à ta lettre du 18 courant que j'ai reçue hier au soir, ainsi qu'une lettre de Germaine. Je suis heureux de savoir mon enfant chérie baptisée mais je serai encore bien plus heureux le jour où je pourrai vous serrer dans mes bras et vous couvrir de baisers brulants. Que ce petit ange de cette terre me porte bonheur pour que je puisse la connaitre et bien l'élever. J'ai toujours la ferme espérance de mon retour, mais le destin me sera-t'il favorable ? J'avais des amis intimes qui parlaient de l'avenir, et hélas, qui ne sont plus. J'implore tous les soirs le Très-Haut qu'il me fasse la grâce de revoir ma petite famille et de bien l'élever mon enfant ; enfin, espérons que pareil malheur ne t'arrivera pas et que je serai rendu à ta tendresse.
Chère bien aimée, tout ce que tu as fait pour le baptême est bien, je suis bien content de toi, tu as bien fait pour M. le Curé de St Maurice, et aussi pour M. le Curé Bailly, ainsi que pour M. et Mme Blandin. Moi, si j'ai le bonheur de rentrer, je serai heureux d'en avoir aussi mais d'ici là ils seront vieux, ce sera comme le vin : plus il est vieux, meilleur il est.
J'ai écrit à Germaine en même temps qu'à toi mais j'ai oublié une chose : c'est de la remercier de ce qu'elle a donné pour notre chérie. Si tu la vois bientôt, remercie la bien pour moi en attendant que je lui réécrive. Je ne puis le faire maintenant car la lettre est cachetée. N'oublie pas cela ma chérie, car elle pourrait mal me juger. Je te remercie bien des bonjours de M. le Curé de St Maurice et de M. et Mme Bourgeois. Lorsque tu les reverras, tu leur donneras aussi le bonjour de ma part, ainsi qu'aux amis et connaissances.
J'ai écrit à Eugène et à Alfred il y a quelques jours. Ils seront contents d'avoir de mes nouvelles comme moi d'en avoir des leurs. J'ai reçu une lettre d'Albert il y a quelques jours. Il va bien aussi, il était en souci de moi car dans sa compagnie il y en a qui avaient reçu des nouvelles du 244ème où on lui avait dit que mon régiment avait été bien éprouvé. Je ne comprends pas ces porteurs de fausses nouvelles qui parlent de pareils faits pour ce qu'il y a eu, il est vrai que c'est bien de trop mais il est nullement besoin d'en faire un journal. Il se porte bien aussi, moi de mon côté je suis un peu souffrant car l'on nous a vaccinés contre la fièvre typhoïde et ça me travaille encore assez ; enfin tranquillise-toi là dessus, c'est encore l'affaire de quelques jours et tout ira bien. Je ne me fait pas de mauvais sang, c'est l'essentiel. Je vis au jour le jour dans l'espérance de mon retour vers mes trésors bien aimés et parents qui sont si bons pour moi. 
Embrasse bien pour moi cette chère maman ainsi qu'Edmond, d'avoir une si gentille petite nièce et filleule. Il me semble l'avoir vue cette petite chérie le jour de son baptême, enfin vivement, si cet heureux jour doit venir, qu'il me fasse voir notre bonheur.
Chère bien aimée, tranquillise-toi toujours bien pour moi : vis en bonne espérance ; nous sommes en repos pour une dizaine de jours, nous avons encore 5 jours à nous reposer et après nous reprenons le service comme auparavant : je crois que le lieutenant Pernet restera à la compagnie car on lui a envoyé un cheval comme Commandant de compagnie. L'on est bien plus heureux avec lui qu'avec le capitaine qu'on avait avant. Je ne vois plus d'autres choses à te dire, je termine ma lettre car je vais aller me reposer un moment.
Reçois ma chérie, ainsi que chère petite Marie, mes plus tendres amitiés, et soyez toutes deux bien embrassées comme je vous aime pour la vie.
Ton Léon
Encore mille bons baisers. 
Courage et patience dans l'avenir.

Certificat de baptême et de communion solennelle de Marie

19.12.14

19 décembre

Ballersdorf, le 19 décembre 1914, partant le 20

Ma chère Alice et petite Marie,

Je fais suite à ma carte que je t'ai adressée hier : c'est le courrier de Lons qui n'était pas arrivé, c'est pour cela que je n'avais pas reçu ta lettre mais aujourd'hui ça a changé car je viens d'en recevoir trois dont ta lettre, une d'Albert que j'attendais tant, et enfin cette carte de Salins que je joins à ma lettre pour que tu me la conserves en souvenir de cette campagne.
Ma chère bien aimée, tu crois comme bien d'autres épouses, ou parents, que nous sommes à plaindre. Non, ne le crois pas, tu sais bien que je t'ai toujours dit la vérité jusqu'à maintenant, je ne t'ai jamais caché quoi que ce soit, et je ne le ferai jamais à toi, ma chérie. Toute la vérité tu l'auras, car toi aussi tu ne me caches rien non plus, c'est bien ce qu'il faut pour nous deux époux qui s'aiment bien tendrement pour la vie, et que rien au monde ne nous séparera, ni même la guerre actuelle. Tu peux toujours te tranquilliser, j'ai foi en la bonté de Dieu et mon espérance ne sera pas trompée.
Chère Alice, tu me parles que tu vois les journaux que Mme Faillenet te porte, et tu y vois bien des choses concernant la guerre ; mais tout ce que tu y lis, tu crois que c'est la réalité ; mais détrompe-toi bien vite sur bien des choses que tu y a puisé, ne vas pas croire non plus que l'Italie se mettra du conflit européen au printemps car cette puissance ne sait pas comment faire, et aussi elle ne tient pas à la guerre. Elle était cependant l'alliée de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie, pourquoi donc n'a t'elle pas combattu aux côtés des deux autres puissances depuis le début des hostilités ? Voici pourquoi elle a vu qu'étant en guerre avec ses alliés, elle se ferait connaitre comme les boches et les Autrichiens de toutes les parties du monde, car il faut être barbare au dernier rang pour déchainer des guerres après être aussi civilisés comme nous le sommes. C'est cette Allemagne qui voulait la guerre, Guillaume ou le Kaiser l'orgueilleux, n'importe quel motif pour y arriver, il aurait voulu que ce soit nous qui commencions car tous les partis qui se trouvent au parlement se seraient séparés, et alors là, il aurait pu vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Aujourd'hui Guillaume II et François Joseph s'aperçoivent que leurs plans de campagne ont complètement échoués, et qu'ils seront vaincus, mais ils continuent encore quelques temps en aveuglant leurs peuples de victoires qu'ils n'ont pas remportées. Pourquoi se cachent-ils si bien les boches ? Parce qu'ils ne peuvent aller plus loin et ne peuvent rentrer chez eux après tant de victoires annoncées. Ça serait la honte le jour où ils seront rentrés dans leur pays et aussi la fin de la guerre. Etant encore sur notre territoire, ils ne pensent pas à la paix, ils se croient vainqueurs mais ils seront vaincus. Je ne crois pas aux journaux, j'en ai lu qui parlaient de l'Alsace, de notre avance qui mentionnait des faits qui n'étaient point arrivés, c'est pour cela qu'il ne faut pas y croire quand ils disent que la guerre sera longue. Elle est déjà bien de trop longue, mais moi à mon idée, quand la violette poussera, nous serons près de notre retour, si ce n'est déjà fait.
Enfin, tranquillise-toi bien ma chérie, l'heureux jour viendra où nous serons heureux encore plus qu'auparavant, car avec notre chère petite fille qu'il me tarde tant de connaitre, et qui nous fera oublier cette longue séparation.
J'ai reçu la lettre d'Albert [Griffon], il est toujours en bonne santé. Je vais lui répondre en lui disant que vous avez dû baptiser cette semaine, et qu'il est porté comme parrain. Il est aussi toujours au même lieu, enfin je suis bien content d'avoir de ses nouvelles car je ne savais que me penser, et lui me demande aussi de mes nouvelles, c'est pourquoi je vais lui écrire de suite pour le tranquilliser. Je suis bien content de savoir que tu vas m'envoyer les adresses des cousins de St Benoit, je suis également satisfait de savoir que tout va bien dans la famille. Nous allons toujours bien, aussi nous avons repos quelques jours car l'on va être vaccinés demain. J'ai repris mon service comme auparavant aujourd'hui, donc tu peux te tranquilliser pour ce motif là.
Embrasse-bien tous les parents pour moi, et bien le bonjour aussi à toutes les connaissances, et toi, ma petite femme chérie ainsi que ma petite Marie, soyez bien embrassées par celui qui vous aime et qui pense toujours à vous.

Léon


14.12.14

14 décembre

Ma chère bien aimée et petite Marie
Ayant un moment à moi par ce vilain temps, je fais suite à ma carte que je t'ai adressée hier, mais tranquillise-toi car aujourd'hui nous ne sommes pas à la pluie, je n'ai pas à me plaindre pour cela, je n'ai pas été encore mouillé. Voilà cependant 4 mois de campagne, et je ferai encore moyen de ne pas me laisser tremper. Nous avons des couvres-pieds et nous les mettons sur notre dos lorsque nous sommes aux avants-postes, puis lorsqu'ils seront mouillés, nous ferons de gros feux pour les faire sêcher. Nous avons également de grandes couvertures, mais nous les laisons au cantonnement, et lorsque nous avancerons, les voitures les transporteront, nous ne pouvons encore pas nous plaindre du froid lorsque nous sommes aux avants-postes. Nous ferons du feu car le bois ne manque pas en Alsace, et au cantonnement, c'est à dire au pays que nous sommes, nous couchons dans des chambres, et comme les planchers forment le plafond, nous avons la chaleur des pièces en dessous qui sont chauffées, surtout chez nous. 
Ici c'est une jeune famille qui a six enfants et le septième en route, car ça niche comme les lapins, alors le feu ne manque pas dans cette maison. Lorsque nous ne sommes pas trop fatigués, nous allons veiller le soir à la chambre et entendre pleurer les petits, ça m'habituera pour quand je serai rentré, mais je voudrai pas en avoir comme cette famille, et je pense que tu es de mon avis ma chère Alice. Enfin, lorsque je serai de retour, nous travaillerons pour le mieux.
Voici, ma bien aimée ce que sont les avants-postes. Figure-toi que l'ennemi se trouverait à La Chapelle, la ligne des avants-postes comporterait Onay- St Benoit : deux points principaux à garder à cause des chemins. Entre ces 2 chemins il y aurait un petit poste dans les champs : nous y ferons des tranchées ou en cas d'attaque, nous serons cachés de la vue de l'ennemi mais qui nous permettrait de le fusiller dès que nous l'apercevrons ; et en avant de ces tranchées, de grands réseaux de fil de fer barbelés de crainte qu'il vienne trop nombreux ; puis, en arrière des pays d'Onay et St Benoit, les gros des grands gardes qui viennent nous renforcer. Il y a aussi les postes d'écoute pour la nuit, avant les tranchées, ce qui permet d'avertir l'arrière par une bonne fusillade, puis nous nous sauvons vers les autres par un chemin fait pour cela, que l'ennemi ne puisse nous suivre. Nous ne craignons rien pour tout cela. C'est dans un de ces postes que j'ai fait le service en remplacement du caporal malade. Maintenant il va mieux et je serai bientôt à mon premier service. Ne te fais pas de mauvais sang, tout va bien, prend toujours bien patience de mon absence. L'heureux jour qui nous réunira approche. 1914 touche à sa fin et 1915 nous apporte la gloire, la victoire et le bonheur pour toutes les familles. J'aurai le plaisir de faire mon petit jardin et de promener notre cher ange par les beaux jours. 
Nous irons aussi le dimanche nous promener voir la maman et comme chez M. Perret ne sera pas là, nous en profiterons. J'espère que Mme Longchamp ne nous embetera pas, enfin pardonne-moi ce que je t'ai dit chère Alice, ne crois pas que je me gênais de te demander quelque chose, mais tu as assez à faire, car il ne faut pas que la maman qui a assez à faire pendant mon absence dis lui bien des choses pour moi à cette chère maman que je n'oublierai pas. 
Embrasse la bien pour moi ainsi que tous les parents et donne bien le bonjour aux amis et connaissance, et toi, ma petite femme chérie, soit aussi bien embrassée, ainsi que petite Marie, vous qui êtes mon plus grand bien sur cette terre. Reçois aussi mes sincères amitiés.
Au revoir. Courage. Patience.
Ton petit époux et petit papa.
Léon

10.12.14

10 décembre

Bien chère épouse et petite Marie,

Je m'empresse de faire réponse à ta grande lettre que j'ai reçue hier et qui m'a fait bien plaisir d'avoir de tes nouvelles, comme d'ailleurs toutes les lettres que je reçois de toi ma chérie. Tu ne peux savoir la joie que j'éprouve lorsque je lis tes chères lettres, il me semble que je suis un moment près de toi et que je te parle, mais prends patience ma bien aimée, le jour viendra où nous serons réunis et où je te donnerai ma tendresse ainsi qu'à ma chère petite fille, qu'il me tarde tant  de connaitre. Oh combien je veux être heureux lorsque je serai près de vous, comme je veux tous vous chérir après ces longs mois d'absence que je passe en Alsace. Enfin, tranquillisez-vous bien tous, quoique nous ne savons encore pas le bout de cette guerre, le temps travaille pour nous. Nous les vaincrons ces sales boches, et Guillaume descendra de son trône sanglant.Son peuple barbare sera cinglé par les armées des alliés ; ils ont voulu la guerre, on la leur fera et plus qu'ils ne voudront. La terre entière déteste cette puissance sanguinaire, il leur fallait une bonne saignée, mais c'est eux qu'il l'ont. Nos positions et notre tactique militaire sont des meilleures, et l'état moral de tous les soldats est excellent. Alors, tu peux croire que nous sommes bien soignés tandis qu'eux n'ont pas toujours assez à manger. Souvent il arrive des déserteurs ou d'autres qui se rendent, car la faim les tourmente. Nous, nous avons au delà, surtout moi qui ne suis pas un fort mangeur.
Je t'envoie la carte que Germaine m'a envoyée, pour que tu la conserves. Je l'ai déjà abimée, ce qui me fait de la peine. Donne bien des baisers à mon enfant chéri pour moi, et embrasse bien la maman, ainsi que tous les parents pour moi ; et toi, ma petite femme chérie, reçois de ton époux qui t'aime pour la vie, ses plus tendres amitiés, et soit bien fortement embrassée.

Ton époux et petit papa
Léon